Festif,
convivial, anesthésiant : si j'arrêtais de boire, je dirais adieu à
ma vie sociale
Marine est une jeune
femme d'une trentaine d'années. Elle a des hobbies, un travail et
des amis... qu'elle voit le plus souvent dans des bars, autour d'une
pinte. Amatrice de bières depuis qu'elle a passé quelques années
au Royaume-Uni, elle réfléchit sur la place de l'alcool dans sa
vie. Premier témoignage de notre série consacrée à cette
substance, festive... et parfois addictive.
Si je devais résumer ce
que m’évoque l’alcool en trois mots, je dirais : "amitié,
convivialité, partage".
Pour moi, l’alcool est
quelque chose de très social. Force est donc de constater que je
bois régulièrement, parce que je vois souvent mes amis.
J’ai vécu plusieurs
années au Royaume-Uni, où l’alcool est monnaie courante. Tout le
monde boit plus ou moins tous les jours. Là-bas, j’avais
l’impression que ma consommation était plutôt inférieure à
celle des gens que je pouvais côtoyer.
Maintenant que je suis
revenue en France, et par rapport aux gens de mon âge, je pense que
je suis dans la moyenne. Après, mon entourage est composé de gens
qui boivent… Du coup, ma vision de la "moyenne" est
peut-être un peu faussée. Il y a sûrement des gens qui boivent de
l’alcool beaucoup moins régulièrement que moi et qui trouvent ma
consommation excessive.
Ado, je n’aimais pas
l’alcool.
Mon rapport à l’alcool
est un peu particulier. Je ne me rappelle pas du premier verre que
j’ai bu, en revanche, je me souviens très bien que je n’aimais
pas ça. Entre 15 et 17 ans, j’ai bu essentiellement des choses
fortes mixées à du soda : du rhum, du whisky, de la vodka. Ce
n’était pas mon truc mais j’en buvais quand même dans les
soirées, histoire de faire un peu comme tout le monde.
Les quantités restaient
faibles parce que je tenais plutôt mal. Aujourd’hui encore, j’ai
tendance à esquiver les alcools forts, sauf si j’ai vraiment envie
d’être un peu ivre et qu’on est au milieu d’une soirée
animée.
Je privilégie la bière,
que j’ai appris à aimer. L’ivresse vient plus lentement, c’est
un alcool plus convivial, plus sympa que la vodka, qui crie
littéralement que si tu en bois, c’est parce que tu veux te mettre
une caisse.
"Je crois que
tu bois trop".
Un jour, une amie m’a
dit – alors qu’elle aimait boire et sortir tout autant que moi –
qu’elle trouvait que je buvais trop. J’ai ressenti quelque chose
de bizarre… Elle avait l’impression que je me réfugiais dans
l’alcool. Je ne l’ai pas prise au sérieux sur le coup mais j’y
ai quand même réfléchi, puisque je n’allais pas très bien à
cette époque-là. Avec le recul, je me suis rendu compte
qu’effectivement, je me servais de l’alcool pour me retrouver
dans une espèce d’état d’esprit ou j’allais être nostalgique
voire triste… C’était assez malsain.
Au cours d’une soirée,
je passais un peu par toutes les émotions : un moment heureux,
un moment de partage avec les amis, de la joie… Et puis au bout
d’un moment, le verre qui te plonge dans autre chose :
l’alcool triste. Je me retrouvais avec des pensées sombres.
Inconsciemment, je pense
que cherchais ce moment-là. Ça peut paraître bizarre mais c’était
plus facile de savoir que j’allais sortir voir les copains et
lâcher toutes ces émotions, plutôt que de rester chez moi seule à
les ressasser. Pour moi l’alcool agissait comme un anesthésiant,
c’était une manière de faire face à mes problèmes, de les
exorciser sans douleur. L’alcool posait un filtre entre ces soucis
et moi.
J’ai déjà eu peur de
l’alcool.
J’ai eu peur parce que
quelque fois, je me suis rendue malade et mon corps n’a pas
vraiment compris ce qui lui arrivait. J’ai eu l’impression que
j’avais atteint un point de non-retour et que j’allais peut-être
y rester. Par chance, je n’ai jamais fait de black-out, j’ai
toujours gardé le contrôle, mais ça ne m’a pas empêché d’avoir
très peur pour ma santé.
J’ai aussi eu peur de
l’alcool chez les autres. Je suis sortie quelques temps avec un mec
qui devenait quelqu’un d’autre dès qu’il buvait. Il changeait
de visage, d’expression. Il devenait très agressif verbalement…
et physiquement. Il y avait quelque chose qui montait en lui et que
je ne pouvais pas gérer.
J’ai aussi travaillé
pour quelqu’un qui, plutôt que de prendre une pause déjeuner et
manger, allait au bar pour boire. Il y restait parfois trois heures
durant. Patron d’une équipe de femmes, il rentrait au bureau pour
nous insulter, nous dire qu’on était bonnes à rien. Ce n’est
pas son ivresse qui m’a fait peur, c’est le fait qu’aucune
discussion ne soit possible. Ce type, bourré, n’entendait rien de
ce qu’on lui disait. Aucun argument n’était valable, il était
coincé dans sa litanie d’insultes et de menaces.
C’est tout le paradoxe
de ce qu’est l’alcool aujourd’hui, dans nos sociétés. Il est
partout, on l’aime, on en profite. Et puis il y a un moment où tu
dépasses un certain seuil et l’alcool devient quelque chose de
très triste.
La grippe ne m’empêchera
pas de prendre une pinte.
La consommation d’alcool
est définitivement une norme. Souvent, quand des amis m’appellent
pour que l’on se voie, c’est pour aller boire un verre. On
pourrait très bien se voir sans picoler, seulement, j’ai
l’impression que ce serait plus difficile. Il faudrait qu’on ait
des appartements plus grands, de quoi organiser de vrais dîners où
peut-être, on boirait moins voire différemment, parce qu'on
mangerait en même temps.
Paradoxalement, on ne va
pas spontanément au restaurant parce qu’on se dit que ça coûte
cher… même si au bout du compte, on dépense la même chose dans
un bar. Il y a définitivement quelque chose de simple et de
convivial dans le fait de fréquenter un bar, là où choisir un
restau peut parfois prendre des heures.
Pour autant, je me suis
déjà demandé si j’arriverai à vivre sans alcool et je ne vois
pas de raison d’arrêter totalement. C’est peut-être un peu
prétentieux mais je pense que je peux passer plusieurs jours sans
boire. Des semaines, je ne sais pas.
Si je devais m’en
passer, j’aurais l’impression de passer à côté de ma vie
sociale. Honnêtement, je ne me verrais pas avec des amis dans une
soirée sans rien boire. Même la grippe ne m’empêchera pas de
prendre une pinte.
À
27 ans, j'ai complètement arrêté l'alcool. Quatre mois plus tard,
je ne regrette rien
LE PLUS. Marie-Capucine
Reyt a 27 ans. En 2015, elle a créé son entreprise. Elle a aussi
complètement arrêté de boire de l’alcool. Fini les soirées
ivres, elle a troqué le vin et la bière contre des Perrier-menthe.
Et elle le vit très bien. Pourquoi ? Un nouveau témoignage
de notre série consacrée à la place de l'alcool dans nos vies.
J’ai aimé lire les
propos de Clémence sur la place de l’alcool dans sa vie
sociale. C’était agréable de voir quelqu’un se poser des
questions et s’interroger sur ce sujet, parce que je pense que
notre génération a un problème avec l’alcool.
Nous ne sommes pas tous
alcooliques, mais nous ne sommes pas non plus complètement lucides
sur nos consommations.
Ils
enchaînent les verres. Et toi, tu suis
J’ai arrêté
complètement de boire de l’alcool il y a maintenant quatre mois.
Cette décision ne vient pas de nulle part, je l’ai prise après
avoir fait plusieurs constats. Cette année, j’ai créé mon
entreprise. Rapidement, je me suis retrouvée à devoir construire un
réseau, ce qui voulait dire sortir environ cinq soirs par semaine, à
chaque fois avec des gens différents.
Parmi ces
interlocuteurs, des gens qui sortent beaucoup moins que toi et qui
ont envie de profiter de leur soirée. Du coup, ils enchaînent les
verres… Et toi, tu suis, tu te cales sur leur rythme. Ce qui est
censé être exceptionnel dans la vie d’une personne normale
devient ton quotidien.
Un soir, j’ai eu
l’alcool mauvais.
Un soir, j’ai eu un
déclic. J’ai passé la soirée sur une péniche parisienne avec
des amis, j’avais commencé l’apéro un peu tôt et j’ai fini
la soirée avec l’alcool presque mauvais. J’ai eu un comportement
désagréable avec mes amis…
Ça a été comme un
électrochoc : cette réaction ne me ressemblait pas, moi qui suis
quelqu’un de plutôt joyeuse et extravertie. J’ai décidé de me
lancer un pari et d’arrêter de boire, pendant un mois.
Au départ, pas un
seul de mes amis ne croyait que je pourrais le faire. Je me souviens
bien du premier soir de mon défi, le frigo d’un ami était blindé
de bouteilles de bières et de champagne. Tout le monde pensait que
je craquerais. Et puis quand ils ont vu que c’était une décision
sérieuse, ils ont trouvé que ça devenait chiant. Pourquoi ? Je
pense que quelque part, mon comportement les incitait à entamer une
introspection qui était inenvisageable pour eux à ce moment-là.
Dans la peau de celle
qui ne boit pas.
D’autant plus que
moi, quand je sors, je suis plutôt du genre à mettre l’ambiance,
à créer du lien, à faire la fête. Quand on arrête de boire, on
est beaucoup plus sur la réserve, ou en tout cas, dans une humeur
vraiment différente de celle des autres. Au fil des soirées, on se
retrouve dans la peau d’un observateur : on sort, je bois du
Perrier-menthe, on trinque, on passe un bon moment, on est tous dans
le même "mood".
Et d’un seul coup, je
me retrouve à regarder comment boivent les autres… De
l’observation, tu passes finalement à l’analyse de ton propre
comportement vis-à-vis de l’alcool.
Et puis quand je vois
mes potes bourrés, je me rends compte à quel point ça peut être
lourd et usant pour ceux qui ne le sont pas. Je me retrouve témoin
de comportements qui peuvent m’agacer… qui m’énervent d’autant
plus que si ça se trouve, ils ont été les miens par le passé.
Arrêter de boire est
probablement une des meilleures choses qui me soit arrivées, même
si au début, ça a été dur. Quand on aime sortir, on ne rêve pas
forcément de verre d’eau gazeuse. D'ailleurs, c’est plutôt
drôle, j’ai passé ma vie à dire aux gens "arrête de me
proposer de l’eau gazeuse, je n’aime pas ça." Sauf que
quand tu arrêtes de boire, les bulles ça amène de l’exotisme.
Après une bonne
journée de travail, plusieurs fois j’ai eu envie de boire un verre
de rouge, moi qui suis particulièrement amatrice de vin… mais j’ai
tenu le coup. Maintenant, je suis complètement habituée à ne plus
boire. Je me suis remise au sport, j’en fais quasiment quatre
heures par semaine, et je fais plus attention à ce que je mange.
Des blagues chiantes
à la fierté.
Je pense que mes amis
proches sont fiers de moi. Au tout début, ils ne comprenaient par ma
décision, ils étaient là à me faire des blagues sur le mode de
"qui sera le premier à mettre de l’alcool dans son verre".
Je n’ai pas trouvé ça drôle une seule seconde : à quel moment
c’est drôle d’être obligée de vérifier ce qu’il y a dans
ton verre au moment où tu veux le boire ?
Même si je sais qu’ils
ne seraient jamais passés l’acte, c’est super chiant de ne pas
se sentir soutenue par des gens qu’on aime vraiment et qui pensent
que tu n’es pas sérieuse. En fait quand tu te lances un défi
aussi difficile, au début c’est compliqué de plaisanter dessus.
Même si c’est bon enfant.
Au fil du temps, ils
ont vraiment changé d’attitude parce que quand tu aimes quelqu’un,
tu as juste envie que cette personne aille bien. Ils se sont rendu
compte que je m’étais fixé un but, que j’avais réussi à
l’atteindre et que j’étais épanouie. C’est tout ce qui
compte. Ce qui s’est transformé en un challenge d’un mois sans
alcool s’est prolongé…
J’ai peur de
recommencer à boire.
Depuis que j’ai passé le cap des trois
mois, je me demande quand je vais boire à nouveau. Pour le moment,
la réponse me fait peur dans le sens où je me suis rendu compte que
si j’avais continué mon corps aurait fini par me faire comprendre
que ça devenait dangereux.
Je suis quelqu'un qui
sort beaucoup, qui a besoin de boire beaucoup au sens littéral du
terme (je dors avec deux bouteilles d’eau à côté de mon lit,
c’est dire). Je me dis que si je recommençais, je pourrais tout à
fait retomber dans quelque chose de malsain pour ma santé.
J’ai presque oublié
ce que ça faisait de boire, j’ai l’impression de ne jamais avoir
bu. À l’idée de boire aujourd’hui, c’est comme si on me
tendait un pétard au milieu d’une soirée, que j’avais envie de
dire oui sans pour autant savoir ce que ça déclencherait par la
suite.
L’alcool au
quotidien, le basculement.
Au cours de ces quatre mois sans boire
d’alcool, j’ai beaucoup réfléchi et je pense simplement qu’on
ne remet pas assez en question notre rapport à la boisson, parce que
sa consommation est normalisée.
Dans nombre de séries
télévisées, par exemple, on ne compte plus les héros et héroïnes
qui se posent chez eux après une journée de boulot, qui ouvrent une
bouteille de vin et qui boivent, seuls. Souvenez-vous de "The
Good Wife", par exemple, elle a toujours son verre de rouge à
la main et tout le monde trouve ça normal. J’ai décidé de réagir
aussi le jour où j’ai compris que j’étais en train de devenir
cette personne-là, cette fille qui rentrait chez elle avec l’envie
éventuellement de boire un verre de rouge, puis deux, puis trois.
Quand ton rapport avec l’alcool devient quotidien, c’est là que
tu bascules. J’aurais très bien pu basculer.
J’ai décidé d’en
parler autour de moi, sur les réseaux sociaux, et de témoigner ici
parce que je trouve ça important de proposer aux gens de réfléchir.
Aujourd’hui, tout le monde sait que je ne bois plus. Bon, ça
n’empêche pas certains de me demander d’apporter le vin pour un
dîner et honnêtement, c’est plutôt chiant. Mais le principal, ce
sont les réactions de ceux qui disent "j’aimerais bien faire
comme toi". Voir qu’ils cogitent, c’est cool.