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mardi 1 novembre 2016

JEUNES , ALCOOL ET VIE SOCIALE

Festif, convivial, anesthésiant : si j'arrêtais de boire, je dirais adieu à ma vie sociale
Marine est une jeune femme d'une trentaine d'années. Elle a des hobbies, un travail et des amis... qu'elle voit le plus souvent dans des bars, autour d'une pinte. Amatrice de bières depuis qu'elle a passé quelques années au Royaume-Uni, elle réfléchit sur la place de l'alcool dans sa vie. Premier témoignage de notre série consacrée à cette substance, festive... et parfois addictive.

Si je devais résumer ce que m’évoque l’alcool en trois mots, je dirais : "amitié, convivialité, partage".
Pour moi, l’alcool est quelque chose de très social. Force est donc de constater que je bois régulièrement, parce que je vois souvent mes amis. 
J’ai vécu plusieurs années au Royaume-Uni, où l’alcool est monnaie courante. Tout le monde boit plus ou moins tous les jours. Là-bas, j’avais l’impression que ma consommation était plutôt inférieure à celle des gens que je pouvais côtoyer. 
Maintenant que je suis revenue en France, et par rapport aux gens de mon âge, je pense que je suis dans la moyenne. Après, mon entourage est composé de gens qui boivent… Du coup, ma vision de la "moyenne" est peut-être un peu faussée. Il y a sûrement des gens qui boivent de l’alcool beaucoup moins régulièrement que moi et qui trouvent ma consommation excessive. 
Ado, je n’aimais pas l’alcool. 
Mon rapport à l’alcool est un peu particulier. Je ne me rappelle pas du premier verre que j’ai bu, en revanche, je me souviens très bien que je n’aimais pas ça. Entre 15 et 17 ans, j’ai bu essentiellement des choses fortes mixées à du soda : du rhum, du whisky, de la vodka. Ce n’était pas mon truc mais j’en buvais quand même dans les soirées, histoire de faire un peu comme tout le monde. 
Les quantités restaient faibles parce que je tenais plutôt mal. Aujourd’hui encore, j’ai tendance à esquiver les alcools forts, sauf si j’ai vraiment envie d’être un peu ivre et qu’on est au milieu d’une soirée animée. 
Je privilégie la bière, que j’ai appris à aimer. L’ivresse vient plus lentement, c’est un alcool plus convivial, plus sympa que la vodka, qui crie littéralement que si tu en bois, c’est parce que tu veux te mettre une caisse.
 "Je crois que tu bois trop". 
Un jour, une amie m’a dit – alors qu’elle aimait boire et sortir tout autant que moi – qu’elle trouvait que je buvais trop. J’ai ressenti quelque chose de bizarre… Elle avait l’impression que je me réfugiais dans l’alcool. Je ne l’ai pas prise au sérieux sur le coup mais j’y ai quand même réfléchi, puisque je n’allais pas très bien à cette époque-là. Avec le recul, je me suis rendu compte qu’effectivement, je me servais de l’alcool pour me retrouver dans une espèce d’état d’esprit ou j’allais être nostalgique voire triste… C’était assez malsain. 
Au cours d’une soirée, je passais un peu par toutes les émotions : un moment heureux, un moment de partage avec les amis, de la joie… Et puis au bout d’un moment, le verre qui te plonge dans autre chose : l’alcool triste. Je me retrouvais avec des pensées sombres. 
Inconsciemment, je pense que cherchais ce moment-là. Ça peut paraître bizarre mais c’était plus facile de savoir que j’allais sortir voir les copains et lâcher toutes ces émotions, plutôt que de rester chez moi seule à les ressasser. Pour moi l’alcool agissait comme un anesthésiant, c’était une manière de faire face à mes problèmes, de les exorciser sans douleur. L’alcool posait un filtre entre ces soucis et moi.   
J’ai déjà eu peur de l’alcool. 
J’ai eu peur parce que quelque fois, je me suis rendue malade et mon corps n’a pas vraiment compris ce qui lui arrivait. J’ai eu l’impression que j’avais atteint un point de non-retour et que j’allais peut-être y rester. Par chance, je n’ai jamais fait de black-out, j’ai toujours gardé le contrôle, mais ça ne m’a pas empêché d’avoir très peur pour ma santé. 
J’ai aussi eu peur de l’alcool chez les autres. Je suis sortie quelques temps avec un mec qui devenait quelqu’un d’autre dès qu’il buvait. Il changeait de visage, d’expression. Il devenait très agressif verbalement… et physiquement. Il y avait quelque chose qui montait en lui et que je ne pouvais pas gérer. 
J’ai aussi travaillé pour quelqu’un qui, plutôt que de prendre une pause déjeuner et manger, allait au bar pour boire. Il y restait parfois trois heures durant. Patron d’une équipe de femmes, il rentrait au bureau pour nous insulter, nous dire qu’on était bonnes à rien. Ce n’est pas son ivresse qui m’a fait peur, c’est le fait qu’aucune discussion ne soit possible. Ce type, bourré, n’entendait rien de ce qu’on lui disait. Aucun argument n’était valable, il était coincé dans sa litanie d’insultes et de menaces. 
C’est tout le paradoxe de ce qu’est l’alcool aujourd’hui, dans nos sociétés. Il est partout, on l’aime, on en profite. Et puis il y a un moment où tu dépasses un certain seuil et l’alcool devient quelque chose de très triste. 
La grippe ne m’empêchera pas de prendre une pinte. 
La consommation d’alcool est définitivement une norme. Souvent, quand des amis m’appellent pour que l’on se voie, c’est pour aller boire un verre. On pourrait très bien se voir sans picoler, seulement, j’ai l’impression que ce serait plus difficile. Il faudrait qu’on ait des appartements plus grands, de quoi organiser de vrais dîners où peut-être, on boirait moins voire différemment, parce qu'on mangerait en même temps. 
Paradoxalement, on ne va pas spontanément au restaurant parce qu’on se dit que ça coûte cher… même si au bout du compte, on dépense la même chose dans un bar. Il y a définitivement quelque chose de simple et de convivial dans le fait de fréquenter un bar, là où choisir un restau peut parfois prendre des heures. 
Pour autant, je me suis déjà demandé si j’arriverai à vivre sans alcool et je ne vois pas de raison d’arrêter totalement. C’est peut-être un peu prétentieux mais je pense que je peux passer plusieurs jours sans boire. Des semaines, je ne sais pas.

Si je devais m’en passer, j’aurais l’impression de passer à côté de ma vie sociale. Honnêtement, je ne me verrais pas avec des amis dans une soirée sans rien boire. Même la grippe ne m’empêchera pas de prendre une pinte.

À 27 ans, j'ai complètement arrêté l'alcool. Quatre mois plus tard, je ne regrette rien
LE PLUS. Marie-Capucine Reyt a 27 ans. En 2015, elle a créé son entreprise. Elle a aussi complètement arrêté de boire de l’alcool. Fini les soirées ivres, elle a troqué le vin et la bière contre des Perrier-menthe. Et elle le vit très bien. Pourquoi ? Un nouveau témoignage de notre série consacrée à la place de l'alcool dans nos vies.

J’ai aimé lire les propos de Clémence sur la place de l’alcool dans sa vie sociale. C’était agréable de voir quelqu’un se poser des questions et s’interroger sur ce sujet, parce que je pense que notre génération a un problème avec l’alcool.

Nous ne sommes pas tous alcooliques, mais nous ne sommes pas non plus complètement lucides sur nos consommations.

Ils enchaînent les verres. Et toi, tu suis

J’ai arrêté complètement de boire de l’alcool il y a maintenant quatre mois. Cette décision ne vient pas de nulle part, je l’ai prise après avoir fait plusieurs constats. Cette année, j’ai créé mon entreprise. Rapidement, je me suis retrouvée à devoir construire un réseau, ce qui voulait dire sortir environ cinq soirs par semaine, à chaque fois avec des gens différents.

Parmi ces interlocuteurs, des gens qui sortent beaucoup moins que toi et qui ont envie de profiter de leur soirée. Du coup, ils enchaînent les verres… Et toi, tu suis, tu te cales sur leur rythme. Ce qui est censé être exceptionnel dans la vie d’une personne normale devient ton quotidien.

Un soir, j’ai eu l’alcool mauvais.

Un soir, j’ai eu un déclic. J’ai passé la soirée sur une péniche parisienne avec des amis, j’avais commencé l’apéro un peu tôt et j’ai fini la soirée avec l’alcool presque mauvais. J’ai eu un comportement désagréable avec mes amis…

Ça a été comme un électrochoc : cette réaction ne me ressemblait pas, moi qui suis quelqu’un de plutôt joyeuse et extravertie. J’ai décidé de me lancer un pari et d’arrêter de boire, pendant un mois.

Au départ, pas un seul de mes amis ne croyait que je pourrais le faire. Je me souviens bien du premier soir de mon défi, le frigo d’un ami était blindé de bouteilles de bières et de champagne. Tout le monde pensait que je craquerais. Et puis quand ils ont vu que c’était une décision sérieuse, ils ont trouvé que ça devenait chiant. Pourquoi ? Je pense que quelque part, mon comportement les incitait à entamer une introspection qui était inenvisageable pour eux à ce moment-là.

Dans la peau de celle qui ne boit pas.

D’autant plus que moi, quand je sors, je suis plutôt du genre à mettre l’ambiance, à créer du lien, à faire la fête. Quand on arrête de boire, on est beaucoup plus sur la réserve, ou en tout cas, dans une humeur vraiment différente de celle des autres. Au fil des soirées, on se retrouve dans la peau d’un observateur : on sort, je bois du Perrier-menthe, on trinque, on passe un bon moment, on est tous dans le même "mood".

Et d’un seul coup, je me retrouve à regarder comment boivent les autres… De l’observation, tu passes finalement à l’analyse de ton propre comportement vis-à-vis de l’alcool.

Et puis quand je vois mes potes bourrés, je me rends compte à quel point ça peut être lourd et usant pour ceux qui ne le sont pas. Je me retrouve témoin de comportements qui peuvent m’agacer… qui m’énervent d’autant plus que si ça se trouve, ils ont été les miens par le passé.

Arrêter de boire est probablement une des meilleures choses qui me soit arrivées, même si au début, ça a été dur. Quand on aime sortir, on ne rêve pas forcément de verre d’eau gazeuse. D'ailleurs, c’est plutôt drôle, j’ai passé ma vie à dire aux gens "arrête de me proposer de l’eau gazeuse, je n’aime pas ça." Sauf que quand tu arrêtes de boire, les bulles ça amène de l’exotisme.

Après une bonne journée de travail, plusieurs fois j’ai eu envie de boire un verre de rouge, moi qui suis particulièrement amatrice de vin… mais j’ai tenu le coup. Maintenant, je suis complètement habituée à ne plus boire. Je me suis remise au sport, j’en fais quasiment quatre heures par semaine, et je fais plus attention à ce que je mange.

Des blagues chiantes à la fierté.

Je pense que mes amis proches sont fiers de moi. Au tout début, ils ne comprenaient par ma décision, ils étaient là à me faire des blagues sur le mode de "qui sera le premier à mettre de l’alcool dans son verre". Je n’ai pas trouvé ça drôle une seule seconde : à quel moment c’est drôle d’être obligée de vérifier ce qu’il y a dans ton verre au moment où tu veux le boire ?

Même si je sais qu’ils ne seraient jamais passés l’acte, c’est super chiant de ne pas se sentir soutenue par des gens qu’on aime vraiment et qui pensent que tu n’es pas sérieuse. En fait quand tu te lances un défi aussi difficile, au début c’est compliqué de plaisanter dessus. Même si c’est bon enfant.

Au fil du temps, ils ont vraiment changé d’attitude parce que quand tu aimes quelqu’un, tu as juste envie que cette personne aille bien. Ils se sont rendu compte que je m’étais fixé un but, que j’avais réussi à l’atteindre et que j’étais épanouie. C’est tout ce qui compte. Ce qui s’est transformé en un challenge d’un mois sans alcool s’est prolongé…

J’ai peur de recommencer à boire.
Depuis que j’ai passé le cap des trois mois, je me demande quand je vais boire à nouveau. Pour le moment, la réponse me fait peur dans le sens où je me suis rendu compte que si j’avais continué mon corps aurait fini par me faire comprendre que ça devenait dangereux.

Je suis quelqu'un qui sort beaucoup, qui a besoin de boire beaucoup au sens littéral du terme (je dors avec deux bouteilles d’eau à côté de mon lit, c’est dire). Je me dis que si je recommençais, je pourrais tout à fait retomber dans quelque chose de malsain pour ma santé.

J’ai presque oublié ce que ça faisait de boire, j’ai l’impression de ne jamais avoir bu. À l’idée de boire aujourd’hui, c’est comme si on me tendait un pétard au milieu d’une soirée, que j’avais envie de dire oui sans pour autant savoir ce que ça déclencherait par la suite.

L’alcool au quotidien, le basculement.
Au cours de ces quatre mois sans boire d’alcool, j’ai beaucoup réfléchi et je pense simplement qu’on ne remet pas assez en question notre rapport à la boisson, parce que sa consommation est normalisée.

Dans nombre de séries télévisées, par exemple, on ne compte plus les héros et héroïnes qui se posent chez eux après une journée de boulot, qui ouvrent une bouteille de vin et qui boivent, seuls. Souvenez-vous de "The Good Wife", par exemple, elle a toujours son verre de rouge à la main et tout le monde trouve ça normal. J’ai décidé de réagir aussi le jour où j’ai compris que j’étais en train de devenir cette personne-là, cette fille qui rentrait chez elle avec l’envie éventuellement de boire un verre de rouge, puis deux, puis trois. Quand ton rapport avec l’alcool devient quotidien, c’est là que tu bascules. J’aurais très bien pu basculer.

J’ai décidé d’en parler autour de moi, sur les réseaux sociaux, et de témoigner ici parce que je trouve ça important de proposer aux gens de réfléchir. Aujourd’hui, tout le monde sait que je ne bois plus. Bon, ça n’empêche pas certains de me demander d’apporter le vin pour un dîner et honnêtement, c’est plutôt chiant. Mais le principal, ce sont les réactions de ceux qui disent "j’aimerais bien faire comme toi". Voir qu’ils cogitent, c’est cool.

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